En effet, elle engendre des conséquences qui touchent aux libertés et à l´autonomie de chacun. Et par là, cette décision, puis le deuil de la conduite, sont une sorte d´humble aveu de défaite  face à la progression de la maladie. Et c ´est douloureux de s´ avouer que l´on n´est plus capable de faire comme tout le monde.

Alors parfois, on se ment à soi même. On rationnalise, en se disant "oui, mais je maîtrise mon véhicule et je suis prudent" ou "J´ai les réflexes suffisants pour gérer la conduite" ou encore plus souvent "La maladie n´évolue pas au même rythme pour tout le monde", "Je vois encore assez bien" etc...

 

Certes, mais le truc, c´est qu´on ne peut pas se rendre compte de façon objective de l´ étendue de notre perte et du danger que l´on représente pour les autres et pour nous mêmes.

Personnellement, j´ai abandonné l’idée de conduire "depuis l’adolescence en prenant conscience du danger que je traînais dans mon sillage. J’ai pourtant déjà discuté avec des types affublés de la même infirmité et presque aussi aveugles que moi aujourd’hui, qui se demandaient encore s’ils allaient se décider à abandonner la voiture. Ils préféraient malgré tout tenter le diable et prendre le risque de ne pas voir venir un autre véhicule, ou une personne. Pas besoin de dire qu’ils peuvent être la cause d’un accident dramatique.  Ouvrez vos yeux malades et réveillez-vous les mecs ! Vous êtes complètement inconscients ! Vous ne pouvez pas maîtriser votre véhicule ! Vous jouez à la roulette russe, avec la vie des autres ! 

Personnellement, j’ai eu un cas de conscience à dix-neuf ans. Avide de liberté et d’autonomie moi aussi, je me déplaçais en deux roues. J’ai pris une douche glacée un matin après avoir évité, au dernier moment, une petite fille de huit ou neuf ans, qui traversait sur un passage piéton. Je ne l’avais pas vue et il n’y a rien que je ne pourrais jamais faire contre ça. Et tous les malvoyants qui croient gérer la conduite ne le pourraient pas non plus. J’ai posé mon scooter le lendemain et je ne l’ai plus jamais retouché."

Extrait de mon livre témoignage : Une cécité à pas de loup, Tous droits réservés.

Je voudrais vous joindre également le témoignage de François, Président de l´Association Rétine Active et atteint de Rétinite Pigmentaire. Il a 28 ans et l´année dernière il a pris conscience du drame qu´il pouvait malheureusement provoquer. Il tente désormais humblement de convaincre d´autres comme nous, de prendre la bonne décision :

"Au volant, la vue, c'est la vie ! Voilà 6 mois que j'ai pris la décision d'arrêter de conduire... oui je pourrais encore le faire et je n'ai pas l'impression de voir si mal que ça en conduisant, et pourtant voici les raisons qui m'ont poussé à le faire... Les scotomes (zones aveugles) sont là et nous ne les percevons pas, tout comme le piéton qui se cache derrière, ou la fillette qui se promène paisiblement le long d'une route de campagne... Et bien vous ne l'avez pas vu ?? Pourtant vous venez de passer juste à côté... et le chien qui était allongé près d'elle sur le bas-côté ? Non plus !? Risquer de commettre l'irréparable pour conserver son autonomie ? Nous avons tous besoin de conduire pour conserver une meilleure autonomie, préserver son emploi... mais la vie n'est-elle pas plus chère que tout cela ? Êtes-vous prêts à prendre le risque de faire une ou des victimes ? Vous êtes déficients visuels... soyez vigilants ! Faites le bon choix !"

Son discours et le mien ne sont pas alarmistes pour rien. Comme vous peut-être, je discute avec des DV, ou je lis leurs commentaires. On se croit plus fort jusqu´au jour où on se fait peur. On provoque un accident ou on se retrouve avec un inconnu sur le capot de la voiture! Et le pire, c´est qu´il semble n´être sorti de nulle part !

J´étais tombé un jours sur un article de journal, dans la rubrique faits divers. C´était dans les années 80 ou 90. Une femme atteinte de Rétinite Pigmentaire avait provoqué  le décès de sa petite voisine. Elle sortait de chez elle en voiture et elle n´avait pas vu l´enfant assise, qui jouait sur le trottoir.

Peut-être aurez-vous la chance de ne jamais provoquer d´accident et peut-être pas. Mais posez-vous la question : Est-ce-que ça vaut vraiment le coup de prendre un tel risque ?

par Sébastien Joachim